Le Palais

Résidence d’écriture de Gaëlle Axelbrun

du 22 février au 27 février 2023 – Le Climont

Des enfants qui construisent des digues,
repoussent les vagues,
creusent des tranchées.

Je suis allée dans cette maison à quatre étages qui donne sur une mer de brume, pour écrire.


Je voulais raconter une histoire, ancrée dans un immeuble démoli il y a quelques semaines seulement, sur la côte ouest, à Soulac. Il s’appelait Le Signal. Il a été évacué car l’eau s’approchait trop de ses portes et menaçait ses fondations. Il est resté abandonné pendant des années, vandalisé et abîmé par le sel de l’océan qui voulait sans doute entrer voir… Des fenêtres ont été brisées. En faisant mes recherches, j’ai découvert qu’une autrice avait déjà écrit un livre, « Le Signal », où elle raconte comment elle en est tombée amoureuse. Amoureuse de l’endroit, de la vue, des objets qu’il restait… amoureuse de ce tag : « Ici, on a été heureux ».

Alors bon, j’étais triste et frustrée et surtout, ça a fait remonter en moi des trucs pas très élégants, du genre :
des peurs d’artiste,
des désirs de posséder,
et des discours de fin du monde :

Que reste-t-il à raconter ?

Je voudrais que tous les bâtiments en ruines du monde, toutes les fissures, les moisissures soient ma propriété. Les maisons englouties, les immeubles insalubres : Je voudrais qu’ils soient tous nés de mon imagination poussés sur les terrains fertiles dans ma tête, pour ne plus risquer de me les réapproprier comme un colon de la misère et de la beauté. (Et il ne suffit pas de dire « je ne veux pas être colon ! » pour ne pas l’être).



Je voudrais acheter toutes les maisons englouties et tous les immeubles détruits pour pouvoir les montrer et dire: C’est chez moi, ici ! Je ne rêve pas de vivre les pieds dans la boue, non, ce n’est pas tellement ça… mais ces endroits me parlent de moi, de mes désirs de destruction, de comment je me vis, de l’intérieur, de ma fascination pour Le Chaos, moi qui ai grandi dans une maison où jamais rien ne s’est brisé, pas une assiette, pas une fenêtre dans cette maison où j’ai grandi (et me vient en tête une mélodie), les sols et les murs n’ont jamais tremblé. Je n’ai connu ni incendie ni inondation ni effondrement. Les murs nous ont caché du monde, des rues, des bus dangereux et des médecins-squelettes que je voyais errer dans mes cauchemars.

Et puis m’est venue cette image de l’eau qui monte et qui monte et qui engloutit le monde entier, sans que personne n’ose bouger. Une lente tragédie, celle du dérèglement climatique, de la montée des eaux et de l’érosion des sols mais aussi celle d’une famille à la communication lacunaire et aux sentiments pudiques, qui se laisse engloutir par ce qui les dépasse. Une tragédie presque silencieuse faite de longues didascalies qui pourrait exister aux quatre coins du monde.

J’ai cherché d’autres lieux, ai découvert la Faute-sur-Mer, Saint-Clément-des-Baleines, Notre-Dame-de-la-fin-des-Terres et puis : Saint-Palais-sur-Mer.

Le Palais [extrait]

Le père vérifie que la porte soit bien fermée à double-tour, il regarde son arme sur la table, hésite à la ranger mais la laisse là, puis il se poste devant la fenêtre, le regard vers l’horizon. Il respire fort. Le petit garçon se lève, va demander à son papa : « Papa, maintenant je peux mettre ma queue de sirène ? ». « Oui ». Il répond en le regardant à peine. Il y a des choses plus graves. Le petit garçon ouvre sa valise et sort sa queue de sirène (un déguisement). Il laisse son pantalon et son manteau en boule sur le sol. La mère s’est calmée, elle ferme les yeux et lève la tête dans cette sorte de béatitude qui vient juste après les larmes. Après tout, ils sont chez eux. Et ils n’en partiront plus.

Un grand merci à l’association ABC Climont, qui m’a offert ce temps suspendu pour commencer l’écriture d’une nouvelle pièce. Merci surtout à Chris Doude Van Troostwijk et Alexandra Breukink pour leur accueil et leur plaisir à partager les savoirs et leur « soupe du désert »…

Ressources

Documentaire : La montée des eaux aux Pays-Bas

Carte de la montée des eaux

L’histoire du Signal

Les dessins sont de Gaëlle Axelbrun

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